Années anniversaires, histoire et Chine

Les mots "aujourd'hui" et "anniversaire" marquent un jour. Or, certains événements prennent bien plus d'un jour pour s'accomplir. Certains prennent même des décennies, et c'est d'un de ces événements à longue portée dont je veux parler aujourd'hui, concernant un pays, deux années d'anniversaires décénaux et deux événements. Comme un petit cours d'un coin d'histoire qu'on connait mal ...

Le pays est la Chine, les deux années sont 1911 et 1921, les événements sont la proclamation de la république de Chine et la création du parti communiste chinois, qui s'intègrent dans la/les révolution(s) du pays.

La révolution de 1911

Depuis le XIX^e siècle, la Chine est dépecée par les puissances occidentales et au début du XX^e siècle les mouvements nationalistes commencent à prendre de l'importance. Plusieurs révoltes et tentatives de changement de régime échouent, mais l'idée de remplacer le système impérial par une république fait son chemin.

Dépeçage de la Chine.


Guerre des Boxers

En mai 1911, la nomination d'un gouvernement totalement mandchou est pris par la population, à majorité Han, comme une provocation. En juillet, une crue catastrophique du fleuve Yantsé, faisant plus de 100.000 victimes selon les sources officielles, et à laquelle le gouvernement n'apportera aucune solution, va précipiter les événements par la colère suscitée. Si le pays subit une oppression économique étrangère, c'est déjà mal perçu, mais ça reste le jeu des puissants. Mais si la nature se mêle de détruire le pays, c'est que la dynastie Qing a vraiment perdu le mandat céleste, et qu'il est temps de changer de pouvoir.

Shanghai en 1911

Le 22 octobre, des révolutionnaires font tomber le gouvernorat de Changsha et ceux du Tongmenghui de Sun Yat-Sen et Lin Sen lancent l'insurrection à Xi'an (anciennement Chang'An), qui sera prise le 23. Jiangxi, Jiujiang et Taiyuan tomberont rapidement. La province du Shanxi déclare son indépendance. Cai E est proclamé gouverneur militaire du Yunan et Nanchang est prise par le Tongmenghui.

L'impératrice douairière LongYi

l'empereur PuYi

Le pouvoir impérial tente de réagir, mais son armée fait défaut. L'empereur est déconsidéré depuis la guerre des boxers, et certains de ses généraux pactisent avec les révolutionnaires. En novembre, Shanghai, les provinces du Guizhou, du Jiangsu, du Guangxi, du Fujian, du Guangdong, et du Sichuan sont aux mains des révolutionnaires. Un gouvernement provisoire est constitué le 30 novembre et le 2 décembre, les révolutionnaires prennent Nankin. La Mongolie Intérieure déclare son indépendance pour devenir un khanat et les autorités religieuses du Tibet expulsent les représentants de l'empereur en 1912 et se proclament indépendants en 1913. Pour le Tibet, je précise "les autorités religieuses", parce que de fait, il restera un protectorat britannique jusqu'un peu après la révolution communiste, bien que restant officiellement territoire chinois.

Décembre 1911, les représentants des 17 provinces se réunissent et adoptent le drapeau aux 5 couleurs symbolisant l'union de toutes les ethnies chinoises. Le 25, Sun Yat-Sen rentre d'exil et est élu président par les représentants des provinces, par 16 voix sur 17 votes.

Le drapeau central est celui de la République de Chine. Le drapeau de gauche est celui des forces armées, adopté lors du soulèvement de Wuchang. Celui de droite, étendard du Kuomintang, deviendra le drapeau national en 1928, remplaçant le drapeau à cinq couleurs. En dessous des drapeaux est écrit "longue vie à l'union" (共和萬歲)

Le 1^ier janvier 1912, la République de Chine est proclamée et Sun Yat-Sen annonce « l'unification des peuples han, mandchou, mongol, hui et tibétain ». Après le 20 janvier, Sun Yat-Sen déclare qu'il laissera la présidence à Yuan Shikai s'il obtient l'abdication de l'empereur. L'impératrice douairière Longyu accepte de publier le décret d'abdication en échange d'un traitement privilégié de l'empereur Puyi (6 ans) qui restera dans la cité interdite avec une pension et ses domestiques. Yuan Shikai reçoit le mandat du gouvernement provisoire et succède officiellement à Sun Yat-Sen le 10 mars. Le 25 août, les différents groupes nationalistes fusionnent pour former le kuomintang.

Sun Yat-Sen

Période trouble

En février 1913, Song Jiaoren, un des leaders du kuomintang est favori aux élections. Mais il est assassiné, et on soupçonne Yuan Shikai du meurtre. Yuan Shikai établit alors sa dictature militaire par un coup d'état, et les troubles s'abattront à nouveau sur la Chine. Il y aura une brève restauration du pouvoir impérial en 1915, Yuan Shikai tente de se faire proclamer empereur. Le Japon tente de placer la Chine sous son protectorat. Yuan Shikai décède et l'instabilité règne.

Commence en 1916 la période des seigneurs de la guerre. La république contrôle le Sud, mais le reste du pays est déchiré entre les différentes factions des seigneurs de la guerre. Le kuomintang est reformé, et envoie des conseillers politiques au komintern, d'où il reçoit l'aide matérielle de l'Union Soviétique pour tenter de réunifier le pays. A la conférence de paix de Paris en 1919, le Japon fait accepter ses prétentions sur l'ancienne colonie allemande de Shandong. La colère monte, les mouvements nationalistes se reforment sous l'égide du kuomintang lors du mouvement du 4 mai, et en juin 1919, le gouvernement de la république chinoise refuse de signer le traité de Versailles.

Avec le parti communiste chinois

On en arrive au deuxième événement dont je parlais, la création en 1921 du parti communiste chinois. Le parti communiste chinois (PCC) s'allie au kuomintang (KMT), et nombre de ses membres font partie des deux mouvements, sur le conseil des Soviétiques. Sun Yat-Sen décède en 1925, et le général Tchang Kaï-chek, créateur de l'armée nationale révolutionnaire lance "l'expédition du Nord" pour contrer les seigneurs de la guerre en 1926.

Tchang Kai Tchek à l'époque

Contre le parti communiste chinois

En 1927, Tchang Kaï-chek s'inquiète de la montée en puissance des communistes, et il déclenche la purge du parti avec le massacre de Shanghai en avril '27. Wang Jingwei, chef de l'aile gauche du KMT, déplace le gouvernement à Wuhan pour contrer l'autocratie de Tchang Kaï-chek, qui répliquera en créant son propre gouvernement à Nankin. Il faut aussi compter avec le gouvernement pro-japonais de Zhang Zuolin à Beijing. Wang Jingwei doit abandonner son gouvernement. En 1928, Beijing est pris par le KMT, Zhang Zuolin s'enfuit et est tué par ses anciens alliés japonais. Tchang Kaï-chek devient Président du gouvernement central de la République de Chine. En 1930, Wang Jingwei, la faction de Li Zongren et les seigneurs de la guerre Feng Yuxiang et Yan Xishan affrontent les troupes de Tchang Kaï-chek. En 1931, les communistes affrontent à leur tour le KMT, et créent la République soviétique chinoise dans le Jiangxi. Tchang Kaï-chek fait arrêter le chef du comité central du KMT et se fait des adversaires au sein de son propre parti. Les Japonais en profitent en septembre pour prendre le contrôle de la Mandchourie, qui devient l'état fantoche du Mandchukuo où Puyi est nommé empereur à la solde du Japon.

Tchang Kaï-chek démissionne de la présidence de la république, mais reste chef de l'armée. Il est trop faible pour s'opposer à la puissance militaire japonaise et se concentre contre les communistes. Il brise la république soviétique chinoise en 1934, et les communistes doivent s'enfuir. C'est le début de la Longue Marche qui consacrera Mao Zedong comme chef incontesté.

Mao Zedong pendant la longue marche

Les Japonais continuent leur expansion en Chine, avec les atrocités devenues tristement célèbres. Fin 1936, Tchang Kaï-chek est séquestré et obligé de conclure l'Accord de Xi'an qui aboutira au deuxième front uni chinois.

Massacre de Nankin

Les Japonais et la 2e guerre mondiale

A partir de 1937, les Japonais étendent leur domination sanglante sur l'ensemble de la Chine dans un conflit qui s'intégrera finalement à la deuxième guerre mondiale. En 1940, le gouvernement collaborateur de la République de Chine de Wang Jingwei usurpe le nom et l'emblème du KMT. La République de Chine (véritable KMT) rejoint les alliés fin 1941 et les États-Unis leur apporteront leur aide en échange de l'installation de bases aériennes en Chine d'où ils bombarderont les positions japonaises.

Du KMT libéral au communisme du PCC

En 1945, à la capitulation japonaise, l'Union Soviétique installera le PCC en Mandchourie et le KMT s'installe dans le reste de la Chine et participe au désarmement des Japonais en Indochine. C'est la fin des traités inégaux et des colonies euro-américaines en Chine qui s'amorce. Dans les fait, et de manière résumée, Tchang Kaï-chek détient le pouvoir sur les villes et Mao Zedong prend le contrôle des campagnes de 1945 à 1948. En 1945, le protectorat britannique sur le Tibet passe aux mains des États-Unis.

En octobre 1949, les communistes proclament la République Populaire de Chine à Beijing et dès décembre, les partisans nationalistes du KMT s'installent à Taïwan ("République de Chine"). Le gouvernement communiste de Beijing réclame que la loi soit appliquée sur tout le territoire de la Chine, mais la fin de l'esclavage, la libération de la population, et la fin des pratiques de tortures sont refusées par les nobles et les moines du Tibet. Ce n'est qu'en 1959 que la Chine récupérera cette partie de son territoire et pourra établir la loi chinoise sur cette partie de son territoire. Le dalaï-lama préférera s'enfuir avec l'aide des services étasuniens. Depuis lors, les différents pays, ONG et associations occidentaux ne cessent de réclamer "l'indépendance" du Tibet, et il faut bien reconnaitre que l'instauration d'un régime pro-occidental sur ces hauts-plateaux leur permettrait l'installation de bases militaires à même de contrôler l'ensemble de l'Asie centrale.

Taïwan

Pour contrer l'influence communiste auprès des paysans de Taïwan, le KMT est obligé d'effectuer une réforme agraire avec une redistribution des terres au profit des petits paysans et au détriment des grands propriétaires terriens (indemnisés tout de même). Tchang Kaï-chek fait instaurer la loi martiale de 1949 à 1987 à Taïwan, instaure les "lois contre la subversion" contre ses opposants et contre "ceux qui ne dénoncent pas". L'aide économique étasunienne (1951-1965) puis le traité d'alliance militaire avec les États-Unis permettront au KMT de rester en place à Taïwan.

En 1971, la résolution 2758 de l'ONU retire le siège de membre permanent au gouvernement de République de Chine pour l'« offrir » au gouvernement de la Chine populaire, ce qui entraine une crise diplomatique entre la République de Chine et les États-Unis. Tchang Kaï-chek décédera en 1975. Depuis lors, le KMT est en déclin et d'autres partis ont leur mot à dire. En 1989, les étudiants organisent un sitting pour exiger l'élection présidentielle au suffrage universel et la mise à la retraite des parlementaires au pouvoir depuis 1947. Une constitution pluripartite est proposée, mais contrée par l'installation comme premier ministre d'un militaire, ce qui remue fortement la population. En 1996, les premières élections présidentielles au suffrage universel reconduisent Li Tenghui qui était au pouvoir depuis 1988.

La ligne dure du KMT est brisée, mais l'influence des militaires, de la police et des anciens du KMT reste forte. La démocratisation y est donc très lente. De plus, Taïwan continue de se proclamer gouvernement de la Chine, alors que Beijing et la République Populaire de Chine proclame Taïwan partie intégrante de la Chine (un pays, deux régimes). Beaucoup de pays estiment que la création d'une république de Taïwan éclaircirait les choses, mais aucune des deux parties n'en veut entendre parler. Le KMT a refusé un referendum sur le sujet et la Chine a promulgué une loi anti sécession en 2005.

Taiwan

La république populaire de Chine

Il est extrêmement difficile de trouver des informations sur la Chine qui ne soient pas partisanes, dans un sens comme dans l'autre. C'est pourquoi j'évite ce sujet controversé, même pour les événements relativement lointains. Je ne mentionnerai donc que les deux événements cruciaux de cette histoire depuis 1949, la "révolution culturelle" et l'ouverture du pays au libéralisme.

La révolution culturelle a été conçue comme une table rase avec le passé, comme avaient en provoqué tous les changements de régime depuis Sin Shi Huang Di, le premier empereur. Elle a probablement été une des plus grandes erreurs de Mao Zedong puisqu'elle a privé le pays de ses têtes pensantes, et outre les purges meurtrières qu'elle a comporté, la Chine ne s'en n'est jamais vraiment remise.

La révolution culturelle

Après la mort de Mao Zedong en 1976, le pays a commencé à s'ouvrir. C'est ce qu'en disent nos médias, en tous cas. Mais à s'ouvrir à quoi, et comment ? Après la purge des maoïstes d'origine (l'histoire de la bande des quatre), les dirigeants successifs se sont ouverts à l'économie de marché. C'est ce qu'ils appellent l'économie socialiste de marché. L'agriculture collective est devenue la responsabilisation individuelle des terres. La notion de gérance privée a été introduite dans l'industrie et le commerce, ce qui a permis la prise de contrôle par des investisseurs étrangers. En 1992, la part du secteur public dans l'économie industrielle n'était déjà plus que de 32% (totale sous Mao et 73% en 1988). « Enrichissez-vous ! » était le mot d'ordre de Deng Xiao Ping. Avec l'entrée du libre échange, l'économie a permis de quadrupler le PIB depuis 1978, mais aussi a provoqué le creusement du fossé entre riches et pauvres.

Ce boum économique a permis à la Chine de rattraper son retard dans de nombreux domaines, dont le domaine spatial et le domaine des technologies de pointe, bien qu'il se paye cash. Jusqu'en 2008, les travailleurs sans emploi des zones agricoles avaient été drainés vers les villes où ils acceptaient des conditions de travail hallucinantes. Mais avec la crise économique de 2008, les entreprises ont dégraissé, et les travailleurs se sont aperçus, rentrés auprès de leurs familles, qu'ils pouvaient mieux gagner leur vie en faisant des petits boulots de ci de là qu'en travaillant pour les industries multinationales. Ça commence à se faire sentir dans l'amélioration des conditions de travail, même si elles restent encore loin des nôtres.

Deng Xiao Ping : "peu importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu'il attrape les souris", soit peu importe le modèle économique pourvu que le fric suive.

Un autre grand point de la Chine, qui a commencé sous Mao et qui se poursuit aujourd'hui, c'est le programme de reboisement. Pour lutter contre la déforestation et contre la désertification, la Chine a entrepris le plus grand programme de reboisement que le monde aie jamais connu.